Lancer un « Appel à Communs » dans l’éducation ?
Héloise Carlier, Emma Ghariani, Nicolas Berthelot, Stéphane Deudon, Alexis Kauffmann
Au ministère de l’Education nationale, nous comptons près d’un million d’enseignantes et enseignants dont certains ont des talents, des compétences numériques et de la générosité : ils créent et partagent, spontanément, parfois depuis longtemps, des logiciels et ressources éducatives sous licence libre utiles à la communauté scolaire. Par le passé, ces ressources étaient souvent mal repérées, car trop éparpillées, et pas assez soutenues, faute de dispositifs spécifiquement adaptés à ces créations issues du terrain et des territoires. L’appel à communs pour les projets de la forge des communs numériques éducatifs répond à ces deux besoins identifiés, tout en s’inscrivant dans la politique générale d’un numérique pérenne, sobre, souverain et participatif rapprochant les citoyens.
Née en 2022, la forge des communs numériques éducatifs a dépassé le stade du prototype et accueille aujourd’hui codes et contenus de près de mille projets d’enseignants et communautés d’enseignants. Une communauté s’est ainsi créée autour de la forge permettant à ses membres d’échanger et collaborer ainsi que de fédérer et mutualiser des projets jadis isolés. Ces projets vont de l’enseignant qui partage individuellement des contenus pédagogiques (cours, activités, évaluations, etc.) utile à ses pairs à la réalisation de projets collectifs ambitieux à haut potentiel portés par des associations structurées, tels que MathALEA, PrimTux, La Nuit du Code, MonOral, La Digitale.
Ces projets présentent l’avantage d’être directement centrés sur les usagers puisqu’ayant été pensés, créés puis testés par des enseignants eux-mêmes pour répondre à leurs besoins et ceux de leurs pairs et de leurs élèves. Ils manquent cependant souvent de moyens humains et financiers pour se déployer pleinement et passer à l’échelle. Parce qu’ils sont le plus souvent développés bénévolement sur le temps libre d’enseignants autodidactes en informatique, nombreux sont les projets qui présentent des trous dans la raquette empêchant de les considérer entièrement comme des solutions pérennes de qualité industrielle mises à disposition de toutes et tous : fragilité et dépendance à une seule personne ou quelques personnes, volet communication/marketing souvent négligé, lenteur du développement, fonctionnalités manquantes, faiblesse de la documentation, ergonomie perfectible, actualisation des choix techniques, RGPD, GAR, conditions d’utilisation et mentions légales à mieux renseigner, etc.
Or les dispositifs de soutien existants répondent imparfaitement aux besoins des projets enseignants de communs numériques issus de la forge :
- Ils financent avant tout de l’investissement et non du fonctionnement (fonds d’amorçage pour créer ex-nihilo une solution et non poursuivre et améliorer ensemble l’existant)
- Ils proposent des solutions limitées dans l’espace (à ceux qui ont la licence) et dans le temps (le temps du marché) car les productions ne sont pas sous licence libre
- Ils sont plus compétitifs que coopératifs
- Ils permettent difficilement aux enseignants et à leurs associations de participer de par la lourdeur du cahier des charges
Afin de mieux prendre en compte ces spécificités, un 1er « appel à communs » (AAC), pionnier et innovant, sera lancé dans l’éducation en 2025 après une période de configuration en co-construction en 2024. Il sera ouvert à tout l’écosystème du numérique éducatif dont la filière industrielle de l’éducation. Son objectif sera d’accompagner, soutenir et aider à passer à l’échelle les projets de la forge sélectionnés pour leur haut potentiel et leur fort impact afin de proposer des services numériques de qualité, souverains et pérennes, à l’ensemble de la communauté scolaire tout en valorisant les compétences de nos enseignants et en offrant à l’Edtech des opportunités pour apporter de la valeur ajoutée et innover ensemble.
Il s’inspirera des appels à communs déjà mis en place par d’autres institutions publiques comme l’ADEME et l’IGN. « L’Appel à communs sobriété et résilience des territoires de l’ADEME vise à rassembler tous les acteurs volontaires pour produire des ressources ouvertes – les communs – contribuant fortement aux enjeux d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques par la création et le partage de ces communs. A l’ère du numérique, il est nécessaire de relier les acteurs et actrices afin de développer collectivement des ressources communes : plateformes technologiques, données ouvertes, logiciels libres, retours d’expérience, protocoles, territoires d’expérimentation, connaissances au sens large… L’appel à communs est un mode d’intervention dont l’entrée collaborative, dès la phase d’idéation du projet, est au cœur du dispositif. Les projets éligibles répondent aux quatre critères suivants : ils sont développés en licences ouvertes ; ils intègrent des communautés d’utilisateurs et de contributeurs ; ils sont documentés sur le support public de l’appel à communs ; ils répondent à au moins l’un des défis de l’appel à communs. »